• Réflexions sur…

  • L'étape wagnerienne


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    Le même travail accompli sur la disparition du pouvoir de la mesure, Wagner l'a accompli, on le sait, davantage encore sur l'abolition du pouvoir hiérarchique des degrés de la gamme dans le discours harmonique. Si tous les degrés chromatiques y ont les mêmes droits - mêmes devoirs aussi - aucune priorité n'est en principe accordée à personne. Chacun est susceptible d'être le roi, éphémère, d'un jour ou d'un quart de mesure, un roi sans droits de succession et obéissant, lui comme les autres, à la constitution qui veut que la Loi, la Règle harmonique, soit appliquée sinon exploitée jusqu'à ses ultimes confins.

    Mais quand la Règle n'a plus de centre, il arrive que la dilution progressive de la hiérarchie mène non seulement vers sa propre disparition, mais aussi à la disparition de la Loi qui va avec. Ce qui adviendra quelques décennies plus tard où la règle ne vient plus de l'intérieur du système mais y est introduite de l'extérieur. Par le compositeur. Dodécaphonique. C'est la fin du système.

    Nietzsche a bien eu raison de parler dans son « cas Wagner » - un pamphlet antiwagnérien brillantissime qui n'est, pour moi, qu'un immense éloge de Wagner, mais à rebours ! - il a donc eu raison de parler de « l'art décadent ». Mais je pense qu'il sentait, lui qui connaissait Wagner mieux que quiconque, que ce n'était pas l'art de Wagner qui était décadent, mais que c'était son art qui a « décadencé » le système musical occidental pour le mener vers sa fin très proche. Là où l'on meurt pour avoir vécu.

     

    © (Extrait, pages 71/72, du "Ivo Malec-Portraits polychrômes", 2ème édition, INA-2007).

     


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