• Réflexions sur…

  • Enseigner la composition


    Bruno Giner : Donner un cours de composition est toujours relativement problématique; que peut-on réellement transmettre ? Des idée, une esthétique, des techniques, les « ficelles » du métier, une expérience ?

    Ivo Malec : On peu tout simplement faire un cours d'analyse, non pas sur les œuvres des autres mais sur celles des élèves; c'est en tout cas la première idée que j'ai eue. La deuxième, plus fondamentale , était de considérer les étudiants non comme des élèves ou des disciples, mais comme des compositeurs à part entière, plus jeune certes, moins expérimentés peut-être, mais compositeurs. Je me suis toujours efforcé d'avoir un discours d'égal à égal, de créateur à créateur, et non celui de quelqu'un qui détiendrait un savoir que l'autre n'a pas. Je n'enseignais pas de modèle, je ne disais pas comment il fallait composer, mais j'essayais de trouver et de révéler à chacun de ces jeunes compositeurs la substance de leur personnalité.

    Selon les problématiques rencontrées, je prenais exemples dans toute l'histoire de la musique, notamment contemporaine, mais aussi dans d'autres domaines artistiques comme le cinéma ou les arts plastiques, la littérature ou l'architecture, car on trouve partout l'équivalence des problématiques. Ainsi, peu à peu, la personnalité de chacun se découvrait. Jamais je ne me suis permis d'intervenir de mon propre point de vue esthétique; je voulais être le même « corps mental » que l'étudiant pour chercher avec lui en toute liberté. Mais une liberté « bien organisée », comme on disait pour le clavier « bien tempéré ».

    © (Extrait, pages 37/38, du "Ivo Malec-Portraits polychrômes", 2ème édition, INA-2007.

    pochette

    J'étais très sensible au témoignage sur ce sujet que l'ami Philippe Hurel a bien voulu exprimer en ces termes :

    « Souvent à ma table, il m'arrive de souhaiter qu'un œil à la foi sévère et bienveillant se pose sur ma partition en cours d'écriture et qu'un conseil vienne m'éclairer. Alors, dans ces cas-là, les préceptes d'Ivo Malec dont je ne comprenais pas toujours la portée lorsque j'étais un compositeur débutant, me reviennent en mémoire et prennent tout leur sens: « faire en sorte que la musique reste signifiante à tout moment », « introduire l'exception dans la logique trop prévisible », « chercher toujours ce que l'on est soi-même quitte à retourner à ce que l'on a précédemment écrit »… autant de conseil qu'il nous prodiguait sans jamais « interdire » mais au contraire en nous ouvrant les oreilles et l'esprit.

    Ivo Malec était plus qu'un professeur de composition - ou plus exactement, il était un vrai professeur de composition - car il savait nous faire prendre conscience de ce que nous étions. Il avait compris qu'on ne devient pas compositeur, qu'on l'est dès lors qu'on en a pris la décision, le rôle de professeur étant d'aider chaque compositeur à « se trouver » lui-même.

    Sur le plan plus technique, Ivo Malec nous a apporté une chose rare au début des années 80, cette double connaissance du monde instrumental et électroacoustique. Ainsi s'il ne faisait pas de prosélytisme, nous profitions cependant de sont expérience de compositeur en prise directe avec le son et, bien que nous ayons tous choisi des voies différentes, sa culture de l'écoute nous a tous marqués.

    Par ailleurs, je me souviendrai toujours de son incroyable capacité à déceler les points forts et les hésitations dans nos partitions en chantier. Un long moment de silence - celui de la lecture - figeait chacun de nous avant qu'il ne mette le doigt sur la section ou la mesure qui posait un problème, celle pour laquelle nous cherchions désespérément une solution depuis plusieurs jours. Lorsqu'aujourd'hui un jeune compositeur me demande de lire ses œuvres, j'essaye, comme mon professeur, d'aller à l'essentiel, de déceler rapidement les « lieux d'hésitation », ceux où le compositeur n'est pas lui-même, ne s'est pas trouvé.

    Enfin Ivo Malec ne nous épargnait rien lorsqu'il s'agissait de la « forme » de nos œuvres et je me souviendrai toujours de cette fameuse question qu'il nous posait avant d'aller plus loin dans les commentaires: Quel est le « projet ? ».

    Aujourd'hui encore, je n'entreprends aucune pièce sans me poser cette question fondamentale qu'Ivo Malec aurait pu exprimer encore de cette autre manière: « En tant que compositeur, qu'ai-je à raconter ? ».


    © 2011 - Ivo Malec & Gilles Pouëssel