• Portrait, par Pierre Albert Castanet

  • La musique convulsive d'Ivo Malec : d'un geste pluriel, l'acte unique


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    Compositeur français d’origine croate, né à Zagreb en 1925, Ivo Malec a reçu en Croatie une formation classique, voire « académique ». Sa vie « apparente » de jeune musicien transparaît alors dans la composition d’opus à l’esthétique normalisée, dans la rédaction d’écrits critiques et dans une part non négligeable d’organisation de la vie musicale croate. Après avoir rencontré Pierre Schaeffer, il s'installe à Paris à la toute fin des années 1950. À cette époque s’opère une véritable métamorphose créatrice, une « très profonde mutation » : avide de sensations en tous genres, Ivo Malec découvre au sein de la nouvelle « école de Paris » dont il sera l’un des plus glorieux représentants, le potentiel du son brut, cette "sonoris causa" qu’il visitera nécessairement avant toute épopée musicale finalisée.

    Depuis ce temps historique, empreint de solennité et de culture, les divers gestes de composition d’Ivo Malec sont émaillés de sage philosophie et de détermination exemplaire, à forte responsabilité sonore. Qu’il s’agisse d’action d’obédience expérimentale sur bande magnétique ou de composition à jouer en direct, qu’il faille évoquer le masque moderne de Mnémosyne ou les beaux atours de l’Acousmatique, Ivo Malec reste maître de la grâce et de la « poésie » de l’écoute.

    En revanche, au cœur de cette sphère de l’ineffable, le rapport aux noms génériques des œuvres reste symptomatique : en effet, il n’y a jamais dans le catalogue malecien de titres littéraires, « poétiques » ou philosophiques. Ceux‐ci risqueraient d’introduire « d’une maniére ou d’une autre, l’orientation de l’écoute, alors qu’il ne soit pas garanti que l’œuvre répondrait à son énoncé » précise le compositeur. C’est pourquoi Ivo Malec s’en tient, à peu d’exception près, à une certaine « neutralité active ».

    De même, entre rationalité terminologique et fantaisie verbale, Ivo Malec n’aura de cesse d’oser s’aventurer de part et d’autre du miroir sonore. Ainsi, le compositeur fera aimer la nature de l’instrument au côté cour de l’invention, tout en faisant apprécier l’artifice de l’objet sonore, au côté jardin du savoir. Et vice‐versa, car les contraires et les jeux non autorisés font partie du processus de recherche et de réflexion du musicien.

    À l’évidence, nous avons affaire à; un monde où l’artifice de la musique et la nature du sonore ne seront jamais rangés dans les combles stériles de la création dogmatique ou scolastique.

    Pour Ivo Malec, l’acte musical, mystérieux autant que vital, doit tenir à; la fois de l’imprévu et du mystère révélé, du prospectif et de l’inouï intellectualisé, du choc et de la surprise codifiée. Au reste, l’« éternelle question » posée en exergue d’Exempla (1994) n’est‐elle pas : « Comment mettre ensemble deux sons pour qu’il en sorte un troisième, inattendu et révélateur ». Auréolé des nimbes de la nécessité intérieure, l’acte doit naître du geste confondant qui transpire du matériau charnel et de la blessure fatale. Alors, portée par un temps solitaire, l’œuvre grave pour l’histoire de la modernité les lourdes valeurs volontaires de sa destinée.

    Pierre Albert Castanet - Portraits Polychromes, Ivo Malec, Ina 2003, - 2007, ISBN : 978-2-86938-203-9


    © 2011 - Ivo Malec & Gilles Pouëssel