• Portraits, par François Bayle et Martin Kaltenecker

  • Ivo Malec au GRM

    L'œuvre d'Ivo Malec est exemplaire. Non seulement pour avoir éclairé la couleur musicale de notre époque d'une lumière singulière, d'une force naturelle et électrique à la fois, mais aussi parce qu'elle a constitué trente années durant - de 1960 à 1990 - le contrepoids instrumental de la recherche au GRM, qui eut été sinon plus étroitement électroacoustique. Ce rôle dialectique, Ivo Malec en parle : « ...le travail en studio a été pour moi un lieu de ressourcement où je retournais chaque fois - et trop rarement peut-être - que les obstacles dans la musique écrite me paraissaient vraiment insurmontables. Ce n'est pas parce que dans le studio c'était "plus facile" - rien n'est jamais plus facile - mais changer de lieu, de technique, de réflexion, de type de résistance en face, et bien sûr d'écoute, se présentait à moi comme une alternative dans le même ordre d'exigence ».

    François Bayle - 1995

     

    pochette

     

    Belle indépendance

    Ce qui frappe dans la musique d'Ivo Malec est un constant voyage entre la musique instrumentale et la musique électroacoustique avec l'arrêt fréquent sur les techniques mixtes. Depuis la révélation de la musique électroacoustique, le monde du studio demeure pour Ivo Malec le lieu même de l'écoute attentive où l'oreille guette la richesse des sons - le lieu d'un ressourcement. La pensée de Schaeffer a été pour Malec un catalyseur, une impulsion, le décidant à appliquer les techniques du studio au discours instrumental. Montage plutôt que calcul : l'intelligence opère sur les structures musicales comme les ciseaux sur la bande - coupes, heurts, mélanges, collants, trames précieuses. C'est dire que l'on part « d'objets musicaux » dont le grain, le relief singulier ne doit pas être étouffé sous des filtres réducteurs. Face à tant de richesse à portée de main, Malec comprit la pensée sérielle davantage comme le dernier acte de la tradition occidentale que comme un nouveau départ possible : belle indépendance qui explique un itinéraire à part.
    Le « programme » d'Ivo Malec fut mené avec fougue : il y a dans ses œuvres, effectivement, cette ardeur de l'avant-garde qui ferait penser à la jubilation rêche d'un Hartung, à la rage de certains peintres de l'abstraction lyrique. Ivo Malec aime les extrêmes - le son dépouillé ou l'exubérance flamboyante des cris mêlés, des textures qui se déchirent, craquent, des sons stridents, francs, presque à cru - souvent, l'on peut songer à Varèse. Le « son » d'Ivo Malec est matériel, concret, proche du corps et d'ailleurs, il revient avec prédilection à la voix, aux instruments à cordes et à la percussion qui en sont autant de prolongements ou de miroirs. S'il fallait s'interroger, à l'écoute de cette musique, sur l'éthique qu'elle nous suggère, sans doute nous décrirait-elle la vie comme une somme de conflits et d'affrontements qu'il ne s'agit guère d'écarter ou d'estomper mais dont il faut interroger la superbe violence.

    Martin Kaltenecker - 1989


    © 2011 - Ivo Malec & Gilles Pouëssel