• Réflexions sur…

  • Le compositeur et le public


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    Question : Peut-on dire que, dans la musique contemporaine, existe un vrai problème de compréhension entre le compositeur et le public?

    Ivo Malec : On peut dire surtout, me semble-t-il, que dans la musique contemporaine, ce qui créé le problème entre le compositeur et celui qu'il souhaite être son double - le public - vient essentiellement de l'absence d'une Référence commune. Je crois, en effet, que c'est bien la présence de cette référence qui dans la musique du passé facilitait et facilite toujours le rapprochement sinon l'union entre les deux; pas tellement d'ailleurs parce que cette référence - la gamme, le système tonal, issus de la Loi de la Nature - permet au public de juger de ce qui est "correct" dans le discours musical, mais bien plus, d'y déceler "l'erreur" ! Ayant ainsi acquis sa part de pouvoir sur l'œuvre, il lui est aisé de se soumettre au pouvoir de celle-ci.

    Rien de tel, apparemment, dans la musique contemporaine, même si les références existent ! Or, ce n'est plus "La" référence unique, mais celle que chaque compositeur crée pour son œuvre. Et c'est souvent de là que naît la difficulté de la saisir d'emblée: ne la reconnaissant pas immédiatement, le public s'en va découragé et, en général, ne revient plus, alors que revenir, écouter et ré-écouter - car écouter, ça s'apprend, quelle que soit la musique - demeure le seul moyen d'entrer dans ce nouveau monde et de comprendre la vérité de sa présence.

    Q. : Est-ce parce que ces références sont arbitraires?

    I. M. : Ce n'est pas parce qu'elles sont personnelles qu'elles sont arbitraires. Je crois, au contraire, que - conditio sine qua non - le compositeur saura toujours créer un type de référence communicable. Communicable parce que cohérente.

    Q. : Le problème fondamental du public ne serait-il donc pas la nécessité de devoir chaque fois pénétrer et percevoir le "système" du compositeur pour "déchiffrer"  la radicalité et le sens de sa rupture avec la tradition, voire la nouveauté de l'œuvre qu'il propose?

    I. M. : J'ai tendance à croire que le public accepte les œuvres nouvelles si le système, dépassant tout dogmatisme, est rendu fécond. Inconsciemment il y lit la cohérence: tout marche, tout "fonctionne". Il sent alors non pas que fonctionne un postulat théorique, mais que l'œuvre répond à l'attente qu'elle propose elle-même.

    © (Extrait d'une interview de 1982).


    © 2011 - Ivo Malec & Gilles Pouëssel